Par Catia Luperto
Catia Luperto est la responsable communication du Centre LIVES. Une de ses missions est de vulgariser les résultats de recherches scientifiques pour le grand public.
Dans son récit, Catia nous illustre comment les domaines de vie sont interconnectés : la santé, le travail, les lieux de vie.
Un événement dans l'un des domaines peut ainsi avoir d'importantes conséquences, positives ou néfastes dans une autre sphère de vie.
Catia nous rappelle également que l’on peut toutes et tous se retrouver en situation de vulnérabilité.
On s’était dit… rendez-vous… dans 30 ans. C’était la promesse… qu’on s’était faite… à la remise des diplômes.. de fin de scolarité.
On est pas beaucoup à être présents aujourd’hui dans la cour de notre ancienne école. Quand je suis arrivé, pendant que j’avance ni trop vite, ni trop lentement dans la cour, je me suis senti tout à coup comme quand j’étais petit et que je commençais l’année dans une nouvelle classe.
Je n’avance ni trop vite ni trop lentement, pour avoir le temps d’observer les camarades qui sont déjà là. Autant j’ai tout de suite repéré Mariam, qui après 30 ans a toujours ses lunettes rondes si reconnaissables, autant je n’ai aucune idée de qui est la femme avec qui elle parle.
C’est à ce moment, qu’elles se sont toutes les deux tournées vers moi.
« Luca ! » a dit Mariam en s’avançant vers moi, les bras grands ouverts. « j’ai bien cru que Nathalie et moi serions seules pour ces retrouvailles ! »
Nathalie ! bien sûr !! la première de la classe ! c’est fou ce que les cheveux courts lui vont bien…
« Samuel n’est pas là ? » j’ai demandé ? « Je l’ai retrouvé sur les réseaux sociaux et il m’a dit qu’il viendrait peut-être… On l’attendra pendant l’apéro ! »
Manifestement, nous ne sommes que 3. Et, ça me va très bien comme ça ! Pendant le souper, on a évoqué les vieux souvenirs d’école, les amis qu’on avait gardés, ceux qu’on a perdu de vue et les profs qu’on a plus ou moins appréciés.
Assez vite, on en est venu à parler de nos emplois respectifs. Je suis certain que Nathalie a un poste à responsabilités. En plus d’être brillante à l’école à l’époque, et très sûre d’elle, elle a maintenant un look très professionnel dans son pantalon bien coupé et ses talons juste assez hauts. Quand je lui ai demandé dans quelle entreprise elle mène tout le monde à la baguette, son regard s’est assombri…
Elle a les yeux d’une petite fille qui a fait une bêtise quand elle nous dit : « en fait, ça fait plus d’un an que je suis au chômage. Tout allait bien, hein, j’avais même été promue responsable de mon service, avec le salaire qui allait avec. Mais assez vite, c’est devenu trop ! à la maison, je continuais de m’occuper de presque tout et au travail… ben, c’était moi qui devais rendre des comptes. Alors je travaillais dès que je pouvais. Au bout d’un moment, j’ai fait un burn out. Mon corps a lâché... Après 8 mois d’arrêt maladie, j’ai donné ma démission. J’en pouvais plus. Impossible pour moi de revenir en arrière, même si je n’avais pas encore trouvé un autre travail. C’était dur, mais c’était une bonne décision. Pour fêter ça, je n’ai rien trouvé d’autre que de changer de coupe de cheveux !»
Mariam et moi sommes scotchés. Évidemment qu’on en avait entendues d’autres, des histoires de burn out, mais franchement… Nathalie ? Elle avait tout pour elle ! Et pourtant… Faut croire que ça peut vraiment arriver à tout le monde.
Nathalie a repris : « Vu que ça faisait presque 20 ans que j’évoluais dans la même boîte, ben je me suis retrouvée sans réseau. Aussi parce que pendant mon arrêt maladie, je n’avais tellement plus de ressources que je ne voulais voir personne… et maintenant, rien que l’idée d’essayer de rappeler d’anciens collègues pour leur demander une recommandation me met beaucoup trop mal à l’aise... Je vous assure, c’est un vrai cercle vicieux ! Mon compagnon m’aiderait volontiers, mais il est dans un domaine tellement différent… Bref, il fait quoi, Samuel ? On commande et s’il arrive, on avisera ! »
C’est clair, Nathalie veut changer de sujet. J’ai voulu la rassurer, moi aussi j’étais passé par la case chômage quelques années plus tôt et ça allait mieux maintenant. Bon, faut dire que pendant 3 ans, j’avais enchaîné des contrats temporaires, parce que je voulais à tout prix éviter de retourner à l’ORP… et qu’il fallait bien assurer les frais avec deux enfants à la maison ! ça voulait dire, moins de salaire et moins de stabilité. D’ailleurs, on avait essayé de réduire au maximum les dépenses fixes, au cas où ça tournerait de nouveau mal pour moi. Un appartement un peu plus petit, une voiture en moins… tout ça, c’était un peu d’organisation en plus, mais quand même moins de stress à la fin du mois pour payer les factures ! … À la fin de ma dernière mission temporaire, la chance avait tourné. Un poste se libérait dans un autre service. Vu qu’ils m’avaient trouvé sympa, ils ont été d’accord de me prendre à l’essai et après 3 mois, ils m’ont gardé. Mon côté jovial a été un vrai coup de pouce ! Je gagne moins qu’avant, on ne pourra pas déménager tout de suite. Mais le job est stable et l’équipe est vraiment marrante. Je me reconstruis !
Comme si on s’était mis d’accord, Nathalie et moi nous sommes tournés vers Mariam. Avec un peu d’appréhension. Faut dire qu’à l’école déjà, personne ne misait vraiment sur ses compétences. Avant les tests de maths, pour espérer avoir tout juste la moyenne, elle s’y prenait des jours à l’avance, alors qu’on était plusieurs à réviser à la dernière minute. Et je parle même pas des examens finaux ! Pendant le mois qui a précédé, elle filait à la bibliothèque directement après les cours pour travailler tranquillement. Et même comme ça, elle était passée « à la raclette ».
Je sais que maintenant, elle est dans les soins, mais je ne me souviens pas dans quel domaine exactement. Elle voulait être infirmière, je crois.
« Il y a deux ans, j’ai été nommée médecin cadre du service des urgences dans ma clinique… quoi ? Ne faites pas cette tête-là ! OK, c’est vrai, à l’école, j’ai pas mal cravaché pour y arriver… et même après, d’ailleurs. J’ai même failli tout arrêter juste avant d’avoir mon bac. J’avais tellement peur de décevoir mes parents si j’échouais mes examens ! Ils ont toujours voulu que je fasse des études et que je puisse choisir mon métier ! C’était une vraie fierté pour eux, que leur fille aille à l’université alors qu’eux avaient quitté leur pays sans éducation secondaire ! Et même si ça m’a mis la pression pendant quelques années, ils m’ont donné les moyens de réussir. Ensuite, arrivée à l’université, ça été beaucoup plus simple ! En fait, j’avais déjà appris à étudier et je me connaissais bien. Mes difficultés à l’école ont clairement facilité le reste de mon cursus ! Je suis devenue plus résiliente !
Ah, voilà Samuel qui arrive. On est là !!!»
Samuel s’est assis et a commandé un café. On avait déjà fini de manger depuis un moment, on était un peu gêné de ne pas l’avoir attendu. Mais c’est Samuel qui s’est excusé. « Désolé d’être arrivé si tard. En fait, je ne pensais pas venir du tout. Je vais être franc… Je ne peux pas me permettre une sortie au resto. Avec mon mari, on a quelques problèmes financiers… depuis un bout de temps en fait. Et je dois dire que je ne me suis jamais intéressé aux aides de l’Etat… je ne savais même pas qui y avait droit. Mais il y a quelques semaines, on a quand même demandé. Ça, ça ne coûtait rien. En ouvrant mon courrier tout à l’heure, j’ai appris qu’on avait droit à un subside pour l’assurance-maladie… Ça ne règle pas tout… mais c’est déjà un début ! … Alors je me suis dit … que je pouvais fêter ça… en venant retrouver mes vieux camarades de classe … pour un café ! »
…
Ha, Samuel… Après 30 ans, … c’est toujours lui … le plus optimiste !