Par Oana Ciobanu
Oana Ciobanu est professeure à la Haute école de travail social et de la santé de la HES-SO, à Lausanne. Ce récit raconte l'histoire de trois migrant·es et leur rapport avec leur pays d'origine.
Il a comme point de départ le projet de recherche TransAge. Le vieillissement transnational parmi les migrantes et les migrants et les autochtones âgés : Une stratégie pour surmonter la vulnérabilité. Dans ce projet, elle collabore avec Iuna Dones et Sarah Ludwig-Dehm.
C’est une belle soirée d’été. La place au centre d’un village dans le sud de l’Italie, pas loin de Naples est pleine : des enfants, des jeunes, des personnes âgées, un tintamarre. Après quelques années de Covid, toutes les personnes sont contentes que c’est possible d’organiser à nouveau les fêtes du village. Il y a des tables, les personnes prennent à manger des ‘pacotze’, des pâtes traditionnelles à la sauce tomate, il y a de la musique et certains dansent.
Un des organisateurs de la soirée prend la parole et demande : ‘qui vient de la Suisse’ et de la Belgique ? Des personnes dans la foule lèvent les mains. Ça m’interpelle cette conscience que ‘les suisses’, ‘les belges’ bien-sûr originaires de l’Italie reviennent pendant les vacances d’été au village.
Mais, les migrants, revient-t-ils tous ? Ont-ils tous des liens avec l’Italie ou les villes et villages d’où ils sont partis ? Non, pas nécessairement, pas tous, pas toutes et pas de la même manière
Je vous invite maintenant de vous imaginer trois personnages : Niccolò, Pasqualina et Antonio. Ils sont originaires de l’Italie du sud et sont arrivés en Suisse, à Genève, à Bâle, au Tessin ou ailleurs encore, il y a environ 50 ans.
Niccolò a des liens transnationaux actif avec l’Italie. Ça veut dire quoi ? Concrètement, Niccolò visite souvent l’Italie ou il a une jolie petite maison et même de temps en temps il réfléchit à retourner en Italie. Il a encore de la famille là-bas et maintien le lien avec eux. Même ça arrive qu’il leurs envoie de l’argent. La politique italienne l’intéresse beaucoup et il vote encore en Italie. Malgré le fait qu’il est parti depuis longtemps, il fête toujours des fêtes traditionnelles italienne. Un soir, Niccolò a confié à son épouse qu’il se demande s’il aimerait être enterré dans son village en Italie du sud. Bien-sûr qu’il a toujours la nationalité italienne et non, il n’a pas pris la nationalité suisse.
Pasqualina, elle est plutôt passive dans ses pratiques transnationales. De nouveau, on peut se poser la question de savoir comment est-ce qu’elle a des liens, mais en même temps elle est passive ? Pasqualina a toujours la nationalité italienne et en même temps elle a aussi pris la nationalité suisse. Elle a encore de la famille proche en Italie et même si elle a toujours la maison des parents là, elle y revient moins souvent. Elle vote rarement et non elle ne pense pas ni de revenir en Italie, ni d’y être enterrée. Dans d’autres mots, une fois italienne pour toujours italienne.
Et Antonio, lui est détaché de l’Italie. Très peu d’italiens du sud qui vivent en Suisse sont dans la même situation qu’Antonio. Il a décidé de prendre la nationalité suisse et il n’a plus la nationalité italienne. Oui, il parle l’Italien, c’est comme aller à vélo. Malheureusement, Antonio n’a plus de famille en Italie ou très peu et ne possède pas non plus une maison là-bas. Il visite l’Italie (ou ses connaissances) même moins souvent que Pasqualina. La politique italienne, il l’a oublié et il ne s’intéresse plus aux fêtes traditionnelles italiennes. Le retour en Italie est une histoire longuement oubliée et il n’a jamais pensé à y être enterré.
Tous ces liens entre un ici et un là-bas que les migrants et migrantes mettent en place sont des différentes facettes de ce que dans la recherche nous appelons le transnationalisme ; des pratiques à travers lesquelles les migrants maintiennent des rapports avec le pays d’origine tout en s’intégrant dans le pays de destination.
Et rappelez-vous : il n’y a pas un migrant mais des migrants, avec des parcours de vie et des histoires d’ici et de là.