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L’impact du confinement imposé par le covid-19 au printemps 2020 sur la santé mentale de la population

LIVES Impact

Special Issue n°3 - Crise COVID-19 - 28 octobre 2020

Cette synthèse est un résumé de la note de synthèse préparée dans le cadre de la Swiss National COVID-19 Science Task Force (https://ncs-tf.ch/fr/). Pendant que la pandémie de COVID-19 et les mesures de santé publique qui y sont associées ne cessent d'évoluer, les analyses de précédentes flambées de maladies infectieuses ayant conduit à une mise en quarantaine et les premières constatations dans le contexte actuel sont compilées pour discuter des questions suivantes: quel est l'impact du confinement du printemps 2020 sur la santé mentale de la population? Comment la population suisse a-t-elle été affectée par le confinement? Que devrait-on faire pour répondre aux défis de santé mentale associés au confinement relatif au COVID-19?

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Effets du confinement sur la santé mentale

L'impact des mesures de confinement sur la santé mentale de la population

Les mesures de santé publique associées à la pandémie COVID-19 sont susceptibles d'avoir des conséquences importantes sur la santé mentale, pour l'ensemble de la population et pour certaines catégories vulnérables. Une série d'effets possibles sont examinés dans la littérature. Ils incluent: l'ennui, l'isolement social, le stress, la privation de sommeil, l'anxiété, le syndrome de stress post-traumatique, l'humeur sombre, la dépression, les comportements suicidaires ou de dépendance et la violence domestique (Mengin et al. 2020). Ces effets sont susceptibles de se prolonger dans le temps et pourraient même atteindre un pic après le passage de la pandémie (Gunnell et al. 2020). Il est donc essentiel d'examiner de près les bénéfices des mesures de santé publique par rapport à leurs coûts psychologiques à court et à long terme (Brooks et al. 2020).

L'impact à long terme de la pandémie pourrait particulièrement affecter le suicide (Gunnell et al. 2020). Une augmentation des cas de décès par suicide a été signalée aux États-Unis pendant la pandémie de grippe de 1918-1919 et à Hong Kong, en particulier chez les personnes âgées, pendant l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003 (Cheung, Chau et Yip 2008). Dans le contexte du confinement dû au COVID-19, la dépression, l'anxiété et éventuellement le stress post-traumatique, tous des facteurs de risque de suicide bien connus, sont susceptibles de s'être développés dans la population n'ayant pas de problèmes de santé mentale antérieurs et de s'être aggravés chez les personnes présentant des vulnérabilités psychiatriques (Gunnell et al. 2020). La perte d'emploi et le stress financier résultant du confinement, ainsi que la violence domestique et la consommation d'alcool, qui sont supposées être en augmentation, pourraient contribuer à accroître les risques de suicide. L'isolement social, l'enfermement et la solitude exacerbés par le confinement représentent des facteurs de risque supplémentaires pour le suicide (Gunnell et al 2020).

Les éléments de preuves recueillis dans des circonstances similaires antérieures, à savoir des épidémies ayant conduit à une quarantaine, mettent particulièrement l'accent sur les conséquences psychologiques néfastes de telles circonstances sur les travailleurs de la santé (Brooks et al. 2020). Les observations récoltées dans le contexte de l'épidémie de SRAS de 2003 indiquent que le personnel mis en quarantaine après un contact potentiel avec des patients infectés a rapporté des résultats plus d’effets négatifs sur la santé mentale que le personnel qui n'avait pas été mis en quarantaine, mais aussi en comparaison avec la population générale ayant été en quarantaine (Brooks et al. 2020). Dans le contexte du COVID-19, la mauvaise santé mentale des travailleurs et travailleuses de la santé documentée à Wuhan, en Chine, est attribuée à toute une série de facteurs, dont notamment les risques d'infection avec une protection inappropriée, la fatigue physique et émotionnelle, l'isolement et les contacts restreints avec les familles (Kang et al. 2020).

Des inquiétudes ont été exprimées concernant l’état de santé mentale des enfants. On sait que pendant les périodes non scolaires (le week-end et pendant les vacances), les enfants accumulent les comportements à risque pour la santé, comme le fait d'être moins actifs physiquement, de passer plus de temps sur les écrans, d'avoir des habitudes de sommeil moins régulières et une alimentation moins saine (Wang et al. 2020). Tous ces éléments ont probablement été renforcés pendant les mesures de confinement, et ce d'autant plus que les enfants et les adolescents ne pouvaient avoir aucune activité de plein air ou seulement des activités restreintes.

Les personnes âgées, en raison de leur vulnérabilité accrue au COVID-19, ont été définies comme un groupe à risque, avec des recommandations officielles récurrentes leur demandant de rester à la maison. Les conséquences sur la santé mentale ont été discutées dans le contexte de symptômes dépressifs préexistants élevés, notamment dans le cadre de la Chine (Rajkumar 2020) et de l'isolement social (Morrow-Howell, Galucia et Swinford 2020). Les capacités à se connecter à autrui, en particulier aux membres de la famille, dépendaient des compétences technologiques ; d’un point de vue optimiste, le contexte COVID-19 est présenté comme une opportunité d'améliorer de telles compétences chez les personnes âgées (Morrow-Howell, Galucia, et Swinford 2020).

Une attention particulière a également été portée à l'impact du confinement dû au COVID-19 sur la santé mentale des travailleurs et travailleuses migrant·e·s (Liem et al. 2020). Cette population présente des difficultés de santé mentale préexistantes et un accès limité aux soins de santé qui ont été encore aggravés par la crise du COVID-19. En plus des difficultés d'accès à une information adéquate, les travailleurs et travailleuses sans papiers ont particulièrement manqué de protection sociale face à la perte d'emploi puisque, dans plusieurs contextes, y compris en Suisse, le travail domestique n'a pas été inclus dans les mesures de soutien économique gouvernementales.

La situation en Suisse

L'étude suisse sur le stress lié à la crise du COVID-19 (Swiss Corona Stress Study) a été mise en place au début de la crise pour évaluer comment la population s'adaptait à la pandémie (de Quervain et al. 2020). Les objectifs étaient d'évaluer comment les niveaux de stress subjectifs et les symptômes dépressifs étaient affectés par le confinement, d'explorer les facteurs sous-jacents et d'identifier les comportements potentiels de protection contre le stress. L'étude a été menée en ligne. Plus de 10'000 personnes vivant en Suisse y ont participé lors de la première vague sur une période de 3 jours, commençant 3 semaines après le confinement. Une deuxième partie de l’étude, avec 10’000 participants, a été menée pendant la phase de relâchement entre le 11 mai et le 1er juin 2020.

Lors de la première vague, 24% des participants n'ont signalé aucun changement dans leur niveau de stress, mais 50% ont indiqué une augmentation du niveau de stress pendant le confinement par rapport à la période précédant la crise du COVID-19. Plusieurs facteurs ont contribué à l'augmentation du stress pendant le confinement, dont notamment le stress lié aux changements au travail ou à l'école, les problèmes de garde d'enfants ou l'impossibilité de passer plus de temps avec les autres.

Les changements de niveau de stress étaient fortement corrélés aux changements de symptômes dépressifs. La prévalence des symptômes dépressifs modérément graves ou sévères est passée de 3% avant la crise du COVID-19 à 9% pendant le confinement, dont 20% ne s'étaient pas plaints de symptômes dépressifs avant la crise. La prévalence des pensées suicidaires quotidiennes est passée de 0,8% avant la crise du coronavirus à 1,5% pendant le confinement.

Il est à noter que 26% de tous les participant·e·s ont montré une diminution du niveau de stress qui était liée au fait qu’ils et elles se sentaient soulagé·e·s par les changements dus au confinement et confiant·e·s de pouvoir bien surmonter cette crise. En outre, l'étude a identifié des comportements qui étaient associés à une moindre incidence de stress, dont l'activité physique, le fait de consacrer plus de temps à un loisir ou à un nouveau projet et de consommer moins de nouvelles liées au coronavirus.

Lors de la deuxième étape de récolte des données, les niveaux d'anxiété avaient diminué par rapport à la première vague, mais les niveaux de stress et les symptômes dépressifs étaient comparables. La prévalence des symptômes dépressifs modérément graves ou graves est restée élevée (12%) pendant la période de relâchement.

Les résultats de la Swiss Corona Stress Study ont révélé que les réactions psychologiques à la crise pandémique et les contre-mesures sont très diverses, allant d'une augmentation importante de la détresse et de la symptomatologie dépressive chez certain·e·s à une diminution du niveau de stress liée au confinement chez d'autres. Le fait d'être plus âgé·e, de sexe masculin et de n'avoir aucun antécédent psychiatrique protège contre le développement de symptômes dépressifs.

Quelles mesures faudrait-il prendre pour atténuer les conséquences sur la santé mentale du confinement dû au COVID-19 ?

Des stratégies visant à réduire l'impact du confinement de COVID-19 sur la santé mentale sont nécessaires. Elles devraient être ciblées sur l'ensemble de la population tout en apportant un soutien spécifique aux groupes vulnérables, notamment les travailleurs et travailleuses de la santé, les personnes présentant des vulnérabilités psychopathologiques et les personnes âgées (Holmes et al. 2020 ; Brooks et al. 2020). Compte tenu de l'association entre la durée de la quarantaine et une mauvaise santé mentale observée dans le passé, il est recommandé de maintenir le confinement le plus court possible (Brooks et al. 2020). En outre, des recherches antérieures ont montré que le confinement volontaire et la mise de l'accent sur l'altruisme plutôt que sur la contrainte sont moins préjudiciables à la santé mentale (Brooks et al 2020). Cela suggère qu’en Suisse, en comparaison à d’autres pays, la stratégie de la Confédération pourrait avoir réduit le fardeau de la crise sur la santé mentale.

Pour répondre aux conséquences psychologiques attendues suite au confinement dû au COVID-19, certaines mesures préventives peuvent être mises en place pour améliorer le bien-être, minimiser l'impact sur la santé mentale et les risques de suicide (Gunnell et al. 2020 ; Holmes et al. 2020). Un accent particulier est mis sur les ressources et les interventions en ligne ou numériques, offrant des stratégies d'éducation à la santé mentale et de régulation des émotions, des services de conseil et d'auto-assistance (Holmes et al. 2020 ; Rajkumar 2020).

Pour atténuer le stress lié au COVID-19, la disponibilité d'informations régulières, facilement accessibles et transparentes est considérée comme cruciale. Simultanément, il est avéré que la communication par les médias peut alimenter l'anxiété et que les technologies de communication en ligne contribuent à diffuser des informations contradictoires et de la désinformation (Gunnell et al. 2020 ; Holmes et al. 2020). Leur impact sur la santé mentale devrait donc également être évalué.

Afin d'évaluer l'impact de la crise du COVID-19 sur la santé mentale et de mettre au point des interventions appropriées, il est nécessaire de recueillir des données sur ces répercussions au sein de la population générale et des groupes vulnérables (Holmes et al. 2020). Il est notamment important de surveiller la dynamique des conséquences psychologiques, la recherche devant suivre les individus au cours des étapes successives de la crise, idéalement en utilisant des méthodes multiples apportant des preuves convergentes avec des mesures auto-déclarées, comportementales et physiologiques. Les cohortes existantes offrent des possibilités particulièrement importantes pour mettre en œuvre un tel suivi, les données longitudinales permettant de documenter l'évolution de la santé mentale avant, pendant et après le confinement. Il est toutefois tout aussi important de mettre en place de nouvelles études dédiées, spécifiquement conçues pour mesurer les effets de la crise du COVID-19 sur la santé mentale.

Le Centre LIVES offre un large éventail de possibilités pour le suivi des conséquences de la crise du COVID-19 sur la santé mentale, et ce grâce aux efforts que ses chercheurs ont déjà entrepris et vont continuer à développer, en analysant l'impact du COVID-19 à différentes étapes du parcours de vie et comme résultat des difficultés rencontrées dans tous les domaines de la vie.

Auteurs·es

CLAUDINE BURTON-JEANGROS, Université de Genève

DAVID SANDER, Université de Genève

EVA MARIA BELSER, Université de Fribourg

PASCAL MAHON, Université de Neuchâtel

SUERIE MOON, Institut de hautes études internationales et du développement, Genève

DOMINIQUE DE QUERVAIN, Université de Bâle

SIMONE MUNSCH, Université de Fribourg

FRANCESCO PANESE, Université de Lausanne

PHILIP RIEDER, Université de Genève

LAURA BERNARDI, Université de Lausanne

DARIO SPINI, Université de Lausanne

SAMIA HURST, Université de Genève

LIVES Impact

LIVES Impact (ISSN: 2297-6124) publie régulièrement des notes sur des résultats de recherche pertinents pour les politiques publiques et sociales issus d’études menées au Centre LIVES. Elles sont publiées en trois langues (français, allemand et anglais) et envoyées aux personnes décideuses de l’administration publique, du monde politique et des organisations non gouvernementales.

Face à la crise sanitaire actuelle, LIVES Impact lance des numéros spéciaux qui visent à mettre en relief des recommandations pratiques et des analyses utiles à l’intention des responsables des politiques publiques et sociales, tant du point de vue du parcours de vie que, de manière plus générale, des sciences comportementales et sociales.

Comité éditorial des numéros spéciaux : Pascal Maeder, HES-SO & Centre LIVES (pascal.maeder@hes-so.ch)

Retrouvez tout les numéros du LIVES Impact.

  • Brooks, Samantha K, Rebecca K Webster, Louise E Smith, Lisa Woodland, Simon Wessely, Neil Greenberg, and Gideon James Rubin. 2020. “The Psychological Impact of Quarantine and How to Reduce It: Rapid Review of the Evidence.” The Lancet 395 (10227): 912–20. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30460-8.
  • Cheung, Y. T., P. H. Chau, and Paul S. F. Yip. 2008. “A Revisit on Older Adults Suicides and Severe Acute Respiratory Syndrome (SARS) Epidemic in Hong Kong.” International Journal of Geriatric Psychiatry 23 (12): 1231–38. https://doi.org/10.1002/gps.2056.
  • Gunnell, David, Louis Appleby, Ella Arensman, Keith Hawton, Ann John, Nav Kapur, Murad Khan, Rory C O’Connor, Jane Pirkis, and COVID-19 Suicide Prevention Research Collaboration. 2020. “Suicide Risk and Prevention during the COVID-19 Pandemic.” The Lancet. Psychiatry 7 (6): 468–71. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(20)30171-1.
  • Holmes, Emily A, Rory C O’Connor, V Hugh Perry, Irene Tracey, Simon Wessely, Louise Arseneault, Clive Ballard, et al. 2020. “Multidisciplinary Research Priorities for the COVID-19 Pandemic: A Call for Action for Mental Health Science.” The Lancet Psychiatry 7 (6): 547–60. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(20)30168-1.
  • Kang, Lijun, Yi Li, Shaohua Hu, Min Chen, Can Yang, Bing Xiang Yang, Ying Wang, et al. 2020. “The Mental Health of Medical Workers in Wuhan, China Dealing with the 2019 Novel Coronavirus.” The Lancet Psychiatry 7 (3): e14. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(20)30047-X.
  • Liem, Andrian, Cheng Wang, Yosa Wariyanti, Carl A Latkin, and Brian J Hall. 2020. “The Neglected Health of International Migrant Workers in the COVID-19 Epidemic.” The Lancet Psychiatry 7 (4): e20. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(20)30076-6.
  • Mengin, A, M C Allé, J Rolling, F Ligier, C Schroder, L Lalanne, F Berna, et al. 2020. “Psychopathological consequences of confinement.” L’Encephale 46 (3S): S43–52. https://doi.org/10.1016/j.encep.2020.04.007.
  • Morrow-Howell, Nancy, Natalie Galucia, and Emma Swinford. 2020. “Recovering from the COVID-19 Pandemic: A Focus on Older Adults.” Journal of Aging & Social Policy 32 (4–5): 526–35. https://doi.org/10.1080/08959420.2020.1759758.
  • Quervain, Dominique de, Amanda Aerni, Ehssan Amini, Dorothée Bentz, David Coynel, Christiane Gerhards, Bernhard Fehlmann, et al. 2020. “The Swiss Corona Stress Study.” Preprint. Open Science Framework. https://doi.org/10.31219/osf.io/jqw6a.
  • Rajkumar, Ravi Philip. 2020. “COVID-19 and Mental Health: A Review of the Existing Literature.” Asian Journal of Psychiatry 52 (August): 102066. https://doi.org/10.1016/j.ajp.2020.102066.
  • Wang, Guanghai, Yunting Zhang, Jin Zhao, Jun Zhang, and Fan Jiang. 2020. “Mitigate the Effects of Home Confinement on Children during the COVID-19 Outbreak.” The Lancet 395 (10228): 945–47. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30547-X.