Les plateformes numériques transforment le travail en permettant une utilisation généralisée du travail à la pièce et du travail à la demande (également connu sous le nom de "gig-work"). Les estimations montrent que 11 % de la main-d'œuvre européenne est concernée (Brancati et al., 2020) et que le secteur connaît une croissance annuelle de 10 % (Stephany et al., 2021). Cette situation a suscité des inquiétudes quant aux conséquences sur la qualité de l'emploi et le bien-être des travailleurs. Alors que les plateformes numériques de travail font l'objet d'un grand intérêt de la part des chercheur·es, aucune étude systématique n'a été menée sur la manière dont les institutions de protection sociale influencent la quantité et la qualité de ces emplois. Ce projet comble cette lacune par le biais d'une étude comparative entre les pays européens.
La "plateforme numérique de travail" est un terme générique désignant un ensemble hétérogène d'emplois organisés par le biais d'interfaces numériques qui mettent en relation les acheteur·euses et les vendeur·euses de main-d'œuvre (Vallas & Schor, 2020). Les plateformes ont entraîné une croissance explosive de l'emploi atypique, ce qui a conduit les chercheur·es à mettre en garde contre la propagation des emplois précaires (Gandini, 2019 ; Rahman & Thelen, 2019). D'autres études ont nuancé ces avertissements, suggérant que si les inquiétudes sont justifiées, la qualité du travail sur les plateformes varie considérablement d'une plateforme à l'autre et d'un pays à l'autre, allant de bien rémunéré et flexible à précaire et exploité (Dunn, 2020 ; Findlay et al., 2013 ; Ravenelle, 2019).
Il y a de bonnes raisons de penser que les différences entre les pays en matière de travail sur plateforme sont le résultat des conditions de l'État-providence. Les États-providence déterminent la disponibilité de travailleur·euses de plateforme disposé·es à accepter un travail de faible qualité, par exemple, car ce type de travail peut constituer un dernier recours pour les personnes non protégées (Ravenelle et al., 2021). Les institutions influencent en outre la perception qu'a le public des plateformes de travail, ce qui détermine à la fois la demande des consommateur·ices et le soutien politique dont les plateformes peuvent bénéficier (Culpepper et Thelen, 2020). Des travaux récents ont donc appelé à accorder une attention accrue à la question de savoir comment le travail sur plateforme est façonné par les contextes institutionnels nationaux (Funke & Picot, 2021 ; Picot, 2022 ; Vallas & Schor, 2020).
Toutefois, la littérature sur l'économie de plateforme n'a pas tenté systématiquement d'expliquer les différences substantielles entre les pays (voir Wood et al., 2019). Ce projet vise à combler cette lacune de la recherche en adoptant une approche de conception de cas comparatifs pour étudier (WP1) comment le marché du travail et les institutions de protection sociale façonnent la quantité et la qualité des plateformes de travail, et comment ces effets sont médiatisés par (WP2) les attitudes du public à l'égard des plateformes de travail, (WP3) l'offre de travailleur·euses cherchant à s'engager dans le travail de plateforme, (WP4) et leurs motivations pour le faire. Nous utilisons trois sources de données : des données agrégées au niveau des pays sur le travail de plateforme, des données d'enquêtes individuelles sur le public dans six pays européens et des données d'enquêtes individuelles sur les travailleur·euses de plateforme.
Grâce à son approche innovante et multidimensionnelle, le projet générera de nouvelles données et perspectives, et jettera les bases d'un champ d'étude sur la manière dont les contextes institutionnels façonnent le travail sur plateforme. Ce faisant, il apportera aux décideur·euses politiques des informations exploitables sur les raisons pour lesquelles les travailleur·euses et les consommateur·ices s'engagent sur les plateformes, et les aidera à adapter les institutions de protection sociale afin de garantir le bien-être et un travail de qualité à l'ère du capitalisme numérique.