Dans le contexte professionnel actuel, instable et peu sûr, le développement et le maintien de carrières durables sont devenus une préoccupation majeure. Cette étude contribue à l'avancement de la recherche sur les carrières durables en appliquant le cadre de la durabilité des carrières à une étude longitudinale de sept ans sur les trajectoires professionnelles des travailleurs suisses. 789 carrières ont été analysées et ont révélé une typologie en quatre groupes, les trajectoires de carrière traditionnelles à temps plein et stables étant prédominantes à côté de trajectoires plus transitoires ou discontinues. Des différences en termes de santé, de bonheur et de productivité ont été constatées entre les quatre types. En outre, le fait d'être une femme, de ne pas avoir un niveau d'éducation tertiaire et des niveaux de neuroticisme et d'agréabilité élevés augmentait la probabilité de développer une carrière non durable. La relation dynamique entre la santé, le bonheur et la productivité est au cœur de la définition des carrières (non) durables.
La croissance démographique, le vieillissement de la population, les crises climatiques, les innovations technologiques, la mondialisation et les migrations sont autant de facteurs structurels qui pourraient expliquer pourquoi les marchés du travail sont devenus de plus en plus précaires et flexibles. Toutefois, les trajectoires de carrière stables et à temps plein n'ont pas complètement disparu et sont même encore la norme dans certains pays tels que la Suisse. Shagini Udayar, Cecilia Toscanelli et Koorosh Massoudi, de l’Université de Lausanne, ont identifié quatre types de trajectoires professionnelles :
- carrière stable à temps plein (type le plus répandu)
- carrière stable à temps partiel substantiel
- carrière transitoire avec une courte période de chômage
- carrière morcelée avec des périodes de chômage de longues durée et des emplois à temps partiel marginaux
Sur la base de l'âge moyen de leur échantillon, elles et il ont déduit que la plupart des participant·es étaient en milieu de carrière et moins exposés aux emplois atypiques, en particulier aux emplois involontaires, ce qui expliquerait la prédominance du type de trajectoire de carrière traditionnelle. Le contexte socio-économique suisse est également en cause, notamment parce que le système éducatif différencié, avec de fortes connexions entre la formation et le marché du travail, facilite la transition entre l'école et le travail et garantit un emploi stable.
Durabilité des trajectoires professionnelles
Les personnes ayant une carrière fragmentée ont signalé des niveaux systématiquement plus faibles de santé perçue et de satisfactions de vie et de carrière par rapport à celles ayant une carrière stable à temps partiel ou à temps plein. Elles ont également déclaré des niveaux de revenus du ménage plus faibles et ont eu moins de promotions que tous les autres groupes.
La période de chômage transitoire à laquelle sont confrontées les personnes ayant un type de carrière transitoire ne semble pas avoir un impact important sur la santé, le bonheur et la productivité. En effet, les personnes ayant ce type de trajectoire ont déclaré un niveau de revenu du ménage, un nombre de promotions et une satisfaction professionnelle similaires aux personnes ayant des carrières stables à temps partiel et à temps plein. Ces résultats soutiennent l’idée que seule la nature durable du chômage est préjudiciable au bien-être et à la performance.
L’adaptabilité, une ressource à valoriser en cas de crise
Contrairement aux attentes des chercheur·es, les individus présentant des niveaux plus élevés d'agréabilité, généralement considérée comme un trait de personnalité prosocial, étaient plus susceptibles de présenter des types de trajectoires professionnelles vulnérables. Par ailleurs, les personnes présentant des niveaux plus élevés d'adaptabilité de carrière avaient plus de chances de tomber dans le type de carrière transitoire que dans tous les autres types. Ceci indique que cette ressource personnelle peut aider les individus à réagir rapidement au chômage et à déployer des stratégies de recherche d'emploi proactives et efficaces, donnant une piste d’action pour les professionnel·les de l’orientation.
Des stratégies à développer avec le soutien des professionnel·les
Étant donné l'importance des ressources personnelles pour favoriser la durabilité de la carrière, les conseiller·ères en orientation professionnelle peuvent aider les individus à identifier leurs ressources et à se préparer à les activer lorsqu'ils sont confrontés à des événements négatifs ou à des transitions difficiles tout au long de leur carrière. Développer des stratégies efficaces pour faire face au stress, réguler ses émotions ou accéder à un programme de formation sur l'affirmation de soi sont autant de ressources à explorer.
En outre, étant donné que des caractéristiques telles que le genre et le niveau d'éducation peuvent exposer certaines personnes à des obstacles et à des inégalités tout au long de leur parcours professionnel, les conseiller·ères pourraient également s'efforcer de développer la conscience critique de leurs consultant·es, leur permettant de mieux prendre conscience des facteurs et des normes sociales qui déterminent leur parcours professionnel.
Article complet
Udayar, S., Toscanelli, C., & Massoudi, K. (2024). Sustainable Career Trajectories in Switzerland: The Role of Psychological Resources and Sociodemographic Characteristics. Journal of Career Assessment, 0(0). https://doi.org/10.1177/10690727241234929