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L’OEP, une échelle du potentiel salarial des professions

17/09/2025

Daniel Oesch. Photo: © KA / Centre LIVES


Comment évaluer la position hiérarchique d'une profession dans la société? La réponse de Daniel Oesch et de ses collègues, publiée dans European Sociological Review, tient en trois lettres: OEP pour «Occupational Earning Potential». Cette échelle délaisse les calculs compliqués au profit d'une approche simple qui consiste à mettre en parallèle le salaire médian de chaque métier avec celui de l’ensemble de la population. 
 

Qu’est-ce qui vous a incité à concevoir l’échelle OEP?

Notre objectif est de mieux comprendre les inégalités matérielles. Pour comprendre, il faut d’abord mesurer. Au printemps 2023, nous avons accueilli à LIVES le chercheur suédois Roujman Shahbazian, spécialiste des données de registre suédoises couvrant toute la population sur plusieurs décennies. Sa venue nous a inspirés à développer une mesure permettant de rendre visible la hiérarchie sociale dans ces données: l’OEP, une échelle du potentiel salarial des professions.

L’OEP est donc basé sur des données suédoises? 

Oui, mais pas exclusivement. Nous avons en effet construit l’échelle à partir de grandes bases nationales représentatives de cinq pays - Suède, Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni et Suisse - couvrant au moins les années 1990 à 2020. Ces enquêtes et registres décrivent finement les métiers et les revenus de larges échantillons de la population, avec plus de 10’000 personnes par année et par pays. Travailler sur plusieurs pays et décennies nous permet de vérifier la robustesse de nos résultats.

Sur quelle information se base l’échelle OEP?

Sur la profession. Dans de nombreux domaines, les chercheurs ne disposent en effet que de la profession pour évaluer les ressources socio-économiques des individus, qu'il s'agisse d'électeurs, d'usagers, de parents ou de patients. Or, les professions ne se traduisent pas facilement en une mesure hiérarchique linéaire. S'il existe plusieurs échelles qui tentent de le faire, elles sont complexes et difficiles à interpréter.

Comment l’OEP transforme-t-il les professions en une échelle linéaire?

L’OEP mesure le potentiel de salaire en exprimant le salaire médian des différentes professions par rapport à l’ensemble des employés. C'est intuitif: si les mécaniciens gagnent le salaire médian, leur OEP est de 50. Si le salaire médian des concierges est supérieur à celui de 30% des employés (et inférieur à celui de 70%), leur OEP est de 30.

En quoi cette nouvelle échelle est-elle utile pour la recherche?

Plusieurs usages sont intéressants. D'abord, elle permet d'étudier la mobilité entre générations: on dispose souvent de la profession des parents, mais rarement de leurs salaires. L’OEP permet d’estimer la «distance sociale» parcourue par les enfants par rapport à leurs parents: par exemple, la distance entre un fils ingénieur (OEP 80) et son père enseignant du secondaire (OEP 62), ou entre une fille avocate (OEP 90) et sa mère comptable (OEP 59).
Ensuite, pour les aspirations professionnelles: chez les adolescents, l’OEP permet de mesurer l’attractivité financière des métiers visés. Enfin, pour les carrières, les enquêtes rétrospectives retracent les métiers exercés, mais rarement les revenus. L’OEP révèle ainsi les trajectoires professionnelles ascendantes, latérales ou descendantes au fil de la vie active.

Comment appliquer cette échelle dans les politiques publiques?

Prenons le canton de Genève. La profession des parents est relevée pour tous les élèves du primaire et du secondaire, mais pas les salaires ni le niveau d'études. Cette information sert à estimer le profil socio-économique des écoles et à allouer des ressources supplémentaires aux établissements les moins favorisés. Cet indicateur est toutefois très agrégé et imprécis. L’OEP permettrait d'obtenir une mesure plus fine, qui aiderait à cibler les moyens publics là où les besoins scolaires sont les plus grands.